LE RAKUGO AU JAPON
Hanjotei Tenmatenjin yose à Osaka
Hanjotei Tenmatenjin yose à Osaka
LE CONTEUR ET SES ACCESSOIRES
Le maître de Rakugo est vêtu de manière traditionnelle : il porte un kimono, noué avec la ceinture, obi, et une surveste de kimono, haori. Les zenza, les plus jeunes disciples qui ouvrent la séance de conte, n’ont pas encore le droit de porter cette veste honorifique.
À son arrivée en musique, le conteur vient s’agenouiller sur un coussin, le zabuton. Il salue son public en posant devant lui l’éventail qui accompagne tous ses spectacles. Il s’incline d’une manière martiale, ses mains jointes forment un triangle, juste derrière l’éventail. Ainsi, il témoigne de son respect pour l’audience mais marque aussi la frontière entre l’auditoire et la scène, entre le réel et la fiction. Il nous invite alors dans son propre imaginaire.
Le maître commence un Makura, une introduction où il prend le pouls de la salle, lançant des anecdotes personnelles, des blagues qui vont lui permettre d’introduire le conte principal, en expliquant parfois le contexte culturel et les mots de l’époque à connaître pour mieux le savourer. Le langage d’Edo est parfois difficile à comprendre pour un japonais d’aujourd’hui ! C’est la partie qui ressemble le plus à du stand up. Lorsque commence le conte, il dénoue et laisse glisser le haori derrière lui.
Ces deux objets permettent à l’artiste de mimer la gestuelle du quotidien japonais comme les situations les plus loufoques : que ce soit un dialogue entre deux idiots qui tourne à l’absurde (otoshi banashi), le récit d’un homme terrifié par un fantôme (kwaidan banashi) ou l’interprétation d’une tragique histoire d’amour entre un marchand et une courtisane de Yoshiwara, le quartier des plaisirs (ninjô banashi).
L’éventail peut avoir deux tailles différentes. Il devient une canne à pêche, un pinceau, un téléphone ou un micro (dans les histoires contemporaines), une théière ou une ombrelle… Un grand éventail figure un sabre ou un grand bol à saké, sakazuki. Le Tenugui deviendra quant à lui un boulier, un portefeuille, une blague à tabac ou encore un livre.
Le Rakugo évolue constamment et à tous les gestes traditionnels s’ajoutent les trouvailles des artistes en création.
COMMENT DEVIENT-ON RAKUGOKA ?
Devenir Rakugoka n’est pas un choix ordinaire. On quitte tout pour suivre l’enseignement d’un inconnu dont on admire le talent, pour l’accompagner dans son quotidien et apprendre de sa présence.
Il faut se présenter plusieurs fois devant le maître, le shishô, et essuyer au minimum trois refus avant de s’entendre accorder l’entrée dans sa nouvelle famille. Alors, toute la vie bascule. Au long de sa formation, le jeune disciple, minarai zenza, se trouve confronté à une stricte hiérarchie : un système de règles appliqué depuis des siècles par les dynasties de conteurs. La journée commence chez le maître par les tâches ménagères: laver, repasser, faire la poussière, plier le kimono et préparer le furoshiki (le tissu où tous les habits et accessoires sont emballés pour la scène), etc. Un quotidien harassant fait de rigueur qu’il va vivre pendant trois années.
Le disciple (deshi) accompagne son maître (shichô) à chaque représentation. Il ressent la passion du spectacle depuis les coulisses, mémorise les différentes prestations sur scène tout en restant attentionné au confort des autres maîtres qui se succèdent dans les loges. On lui enseigne la musique pour jouer les debayashi, les morceaux qui introduisent l’arrivée des conteurs. Au bout de quelques mois, le zenza racontera enfin sa première histoire en tout début de séance.
Les histoires se transmettent encore aujourd’hui uniquement à l’oral. Elles demandent un travail de mémorisation et de répétition important.
Puis, lorsque le maître le juge apte, le zenza devient futatsume. Lors de cette période, oscillant entre une dizaine et une quinzaine d’année, il expérimente sa propre voie. Il cherche son style pour ne plus seulement reproduire les performances de son mentor mais développer ses qualités personnelles.
Lorsque ses pairs auront trouvé en lui la véritable étoffe d’un maître de la parole, il sera consacré Shin’Uchi. Il deviendra libre d’apprendre seul désormais et d’enseigner à ses propres disciples.
LES YOSE
Yose vient du mot japonais yose atsumeru qui signifie rassembler. Imaginons une soirée au théâtre, à Tokyo ou Osaka. Les spectateurs, qui ont patiemment attendus à l’extérieur, entrent enfin dans le yose, accueillis par la musique entrainante du shamisen, des tambours et des flûtes jouée des coulisses. L’ambiance, festive et décontractée, présage un bon moment.
Les théâtres comportent de 100 à plus de 400 places. Dans un yose, on est soit assis sur des fauteuils en gradins à l’occidentale, soit à la japonaise sur des coussins au sol. Sur la scène, au centre, est disposé le coussin du rakugoka, le zabuton sur lequel il s’agenouille pour conter son histoire. À jardin, un présentoir, le mekuri, exposera les différents noms des rakugoka par ordre de passage sur scène. Le nom de chaque conteur y sera calligraphié en Yose-style, un caractère très gras car la tradition dit : « plus le nom remplit l’espace, plus il y aura de spectateurs ».
Le zenza commence la séance par une courte histoire, puis les conteurs se succèdent en ordre hiérarchique. Le public réagit, commente et parfois encourage les prestations ! Chaque passage de conteur est annoncé par son debayashi, sorte de « jingle personnel » que les fans de rakugo peuvent reconnaître dès les premières mesures. Un zenza retourne le zabuton et place le nom du conteur suivant sur le mekuri. Les futatsume se succèdent ainsi jusqu’à l’arrivée du maître de la parole, le shin’uchi. Un spectacle au yose peut durer plusieurs heures pour la grande joie des spectateurs souvent fidèles de cet art. À la fin du spectacle, on s’arrache les goodies des rakugoka pour repartir avec un calendrier ou encore un éventail à l’effigie de son artiste préféré.
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